• Reportage - Chine: Désintox du Web

    Sources: -Phosphore n°423 (p26 à 41), reportage de Fernando Moleres

                   - konbini.com, "Camps de désintox: dans l'enfer des jeunes Chinois accros à Internet"

     

    En Chine, de nombreux centres proposent à des parents de sortir leurs enfants de la cyberdépendance. Nous allons nous intéresser à l'un de ces centres mêlant discipline militaire et psychiatrie, à Pékin.

     Les pays d'Asie comme la Chine, le Japon et la Corée, ces pays dits les plus "connectés" au monde rendent le continent de l'Est incontournable dans le monde du Net. Malheureusement, les populations ne savent parfois pas s'arrêter d'utiliser ce phénomène qui remplace maintenant de nombreuses activités. Le plus souvent ce sont les adolescents et jeunes adultes qui sont touchés par cette addiction car nés avec, utiliser le Web est devenu un réflexe. En Chine, de plus en plus de centres dits de "désintox" voient le jour. Mais quelles sont les méthodes utilisées par ces centres ? Quelles sont les limites de cette désintox? Est ce que cela permet vraiment de "guérir" ces addicts d'Internet ?

     

    Selon Toa Ran, ancien médecin militaire, spécialiste des addictions et directeur du centre de désintox Daxing à Pékin, une personne qui passe plus de six heures sur un écran sans rapport à du travail est dépendant d'Internet. En effet, c'est dans le but d'aider des personnes de 13 à 26 ans que ce centre fut ouvert pour les familles en détresse à partir de 2006.

    Malheureusement, recourir à cette méthode demande aussi de renoncer à certaines valeurs familiales. Les parents, parfaitement conscients que leur enfant ne peut aller à un centre de son plein gré, sont contraints d'utiliser des techniques capables de choquer certains: souvent, l'enfant destiné à être envoyé en désintox pense que sa famille et lui vont visiter la capitale, ou vont partir en vacances. Pour d'autres cas plus extrêmes où le jeune connaît déjà les intentions de ses parents, il arrive que ces derniers soient obligés de le droguer le soir et de le transporter pendant son sommeil. Utiliser de pareilles méthodes peut conduire à un immense sentiment de trahison de la part de l'enfant, il est parfois possible que les parents ne soient jamais pardonnés sans compter la réaction violente de l'adolescent apprenant qu'il ne pourra plus utiliser le téléphone ou l'ordinateur.

    Mais une fois là-bas, que devient le jeune ?

    En effet, les adolescents envoyés dans ces centres y restent entre 3 et 6 mois et arrivent souvent en souffrant de problèmes de vue, de dos et d'alimentation. En moyenne, 7 filles sur 70 garçons sont gardés durant ces durs mois qui sont gravés plus tard à jamais dans leur mémoire.

    Un mélange de discipline militaire et de suivi psychiatrique. La journée dans les centres est très difficile: Levés à 6h30, tous les pensionnaires revêtissent leur uniforme militaire obligatoire, s'alignent avec les autres dans le couloir, répondent "présent!" puis enchaînent une série d'exercices dans la cour pendant 30 minutes avant le petit-déjeuner. Puis au cours de la journée se poursuivent prises de médicaments pour aider les crises de panique et d'anxiété liées au sentiment de manque d'utilisation d'Internet, exercices physiques par 30°C et dans un air ultra-pollué, contrôles de l'activité cérébrale pour vérifier si l'addiction n'est pas due à un dysfonctionnement neuronal mais aussi parfois des électrochocs utilisés dans certains centres. De nombreuses séances de thérapie de groupe sont organisées où les jeunes discutent et échangent sur leur passé et leur ressenti envers leur addiction au Net. Puis en attendant l'extinction des feux vers 22h, les pensionnaires essaient de trouver divers façons de combattre l'ennui, par exemple en jouant aux cartes ou en faisant plus ample connaissance avec les camarades de chambre. Evidemment, tout contact avec l'extérieur du centre est interdit. Ce système fût installé par Tao Ran qui affirme que 75% des patients guérissent après leur séjour en centre. Depuis le lancement de sa formule en 2006, 300 cliniques l'ont copié (dont certaines de manière illégale).

    Mais les conséquences d'un tel système sont souvent fatales. En envoyant leur enfant dans les centres de désintoxication, les parents sont totalement conscients que cette technique contient plus d'inconvénients que d'avantages. Ils sont aussi invités à assister à des réunions données par le directeur du centre. Durant sa réunion, Tao Ran ne se retient pas de rejeter grandement en partie la faute des parents dans la dépendance de leurs enfants. Les familles oublient que leurs enfants sont des humains et les contraignent à travailler et étudier sans cesse. Avec le dialogue familial rompu, les jeunes se réfugient dans les jeux en lignes multijoueurs afin de combattre leur sentiment de solitude et en possédant des armes virtuelles, les jeunes se sentent comme des héros et refusent de retourner dans une réalité qu'ils jugent trop triste. Amener son enfant dans un centre peut amener à une rupture définitive du lien familial.

    Des cas extrêmes: En 2014, Guo Lingling une jeune fille de 19 ans décède de lésions cérébrales provoquées par plusieurs personnes qui l'ont frappé. Sa faute ? Se rendre dans la salle de bain sans autorisation. Quand sa mère vint chercher le corps de sa défunte fille, plusieurs pensionnaires jetèrent des bouts de papiers avec griffonnés dessus les numéros de leurs parents, comme un appel au secours. Ou encore en 2016 Deng Shenshan, jeune de 16 ans battu à mort car il aurait refusé de continuer à courir dans la province de Guanxi Zhuan. Même si ces deux cas furent les plus évoqués dans la presse, cela ne s'est pas arrêté là. En effet 12 cas de violence ont été recensés dont 7 cas qui relatent la mort de la victime.

    Au final? Depuis la création du centre en 2006, plus de 6000 personnes ont été traitées mais plusieurs ont fait des rechutes lors du retour à la vie normale. Le coût d'un mois en centre peut s'élever jusqu'à 1500€, ce qui est énorme pour un pays dont le salaire mensuel moyen est de 220€. Le gouvernement chinois estime que 10% des 720 millions d'internautes chinois sont accros à ce que les experts appellent "l'héroïne électronique". Mais même si de plus en plus de centres de désintoxication au Net voient le jour, le monde sait que ce n'est pas une bonne manière de rééquilibrer une population addicte qui continuera d'augmenter de jour en jour.

    Photo: Dans le centre de désintoxication au web Qide (Crédit Image : Reuters)

    Dans le centre de désintoxication au web Qide (Crédit Image : Reuters)

     


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